Que vous aimiez ou non, que vous croyiez ou non, que vous soyez contre ou pour, vous êtes face à une réalité alarmante pour la démocratie et la justice. Une réalité qui interpelle l’hypocrisie des dirigeants européens et appelle au respect des valeurs les plus humanitaires.
Des centaines de Kurdes sont en grève de la faim illimitée, dont une vingtaine sur le sol européen. 14 d’entre eux sont à Strasbourg, depuis le 17 décembre, non loin des institutions européennes. Ils réclament tous la fin de l’isolement du leader kurde, Abdullah Ocalan. Ce dernier est emprisonné sur l’île d’Imrali, en Turquie depuis son arrestation en 1999, suite à une opération internationale, impliquant les États-Unis, la Russie, l’Europe, l’Égypte, la Syrie, l’Israël et la Turquie.
Le leader du PKK n’a aucun contact avec ses avocats depuis 2011 et avec personne d’autre depuis avril 2015, à part une courte visite de son frère le 12 janvier dernier. On sait seulement qu’il est en vie. Il ne bénéficie d’aucun droit, en totale violation des lois turques et du droit international. L’île-prison d’Imrali est ainsi devenue une zone de non-droit, un trou noir, devant les yeux du monde entier.
DÉJÀ PLUS DE 100 JOURS
Pour les grévistes, la dernière visite ne signifiait aucunement la fin de l’isolement. L’autorisation par les autorités turques de cette visite de 15 à 20 minutes n’avait qu’un seul objectif;briser la résistance, ont aussitôt dénoncé les grévistes à l’initiative de Leyla Guven, députée kurde libérée le 25 janvier, au 79ejour de sa grève. Arrêtée en janvier 2018 pour avoir critiqué l’invasion turque à Afrin, elle avait entamé une grève de la faim le 8 novembre 2018. Sa libération a également été considérée comme un jeu politique du gouvernement pour mettre fin à la grève. Elle a refusé de mettre un terme à la grève et a décidé de la poursuivre depuis sa maison à Diyarbakir, au Kurdistan de Turquie.
Aujourd’hui, hormis Leyla Guven, plus de 300 prisonniers et prisonnières politiques dans les prisons turques, quatorze Kurdes à Strasbourg, deux à Lahey, deux au Kurdistan irakien, un au Pays des Galles, un à Toronto, un à Nuremberg et un à Genève sont en grève de la faim illimitée. Des milliers d’autres se sont engagés dans des grèves tournantes. Leyla Guven a déjà dépassé les 100 jours de jeune. Nasir Yagiz à Erbil est en grève depuis plus de trois mois, tandis que ceux à Strasbourg et au Pays des Galles, ainsi que les prisonniers politiques ont laissé plus de deux mois derrière eux.
Ils ne veulent pas seulement la fin de l’isolement du leader kurde, ils dénoncent également le silence et la complicité des institutions européennes, en tête le Conseil de l’Europe et le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) qui ne fait que regarder au lieu de prévenir.
BERLIN COMPLICE AVÉRÉE DES CRIMES DU RÉGIME TURC
Ce silence a déjà coûté la vie à un kurde en Allemagne. Âgé de 43 ans, Ugur Sakar s’est immolé le 20 février avec un liquide inflammable devant le tribunal de Krefeld (Westphalie) pour dénoncer l’isolement d’Abdullah Ocalan et la violence de la police allemande contre les Kurdes. Les activités politiques ou culturelles kurdes sont systématiquement interdites par les autorités allemandes. Récemment, le 12 février, le ministère allemand de l’Intérieur a annoncé la fermeture de deux sociétés kurdes, Mir Multimédia et maison d’édition Mezopotamya, sous prétexte d’entretenir des liens avec le PKK. Des livres et des albums de musique ont été saisis. Cette politique de criminalisation ne vise pas seulement les Kurdes, mais aussi les Allemands qui soutiennent la cause kurde. Cependant il n’y a aucune restriction pour le gouvernement allemand d’entretenir des relations étroites avec le régime fasciste d’Erdogan. La complicité du Berlin avec les crimes du régime turc n’est plus un secret. On a vu le visage de cette collaboration lors de l’invasion turque à Afrin avec des chars allemands. Porter les drapeaux des organisations kurdes est interdit en Allemagne, mais la complicité avec les crimes de l’État turc dont le génocide bénéficie d’une totale impunité et même encouragée. De ce fait, les autorités allemandes portent une lourde responsabilité dans l’immolation de Ugur Sakar.
ILS VEULENT DES ACTES, PAS DES PAROLES
Les grévistes demandent au CPT de faire son devoir, rien que son devoir. Ils appellent les institutions européennes à prendre des mesures concrètes, soit des sanctions économiques, politiques ou militaires, et non pas uniquement des décisions, déclarations ou rapports non contraignants, afin de briser la répression et ouvrir la voie au dialogue et à une solution politique en Turquie.
Aux yeux des grévistes kurdes, la résistance pour demander la fin d’isolement d’Ocalan est aussi une résistance pour mettre fin à la répression fasciste de l’État turc. C’est un combat pour la démocratie, la liberté et des droits humains, que ce soit en Turquie ou en Europe.
L’EUROPE EST-ELLE PRÊTE À VOIR DES MORTS ?
Aujourd’hui, la situation devient de plus en plus critique pour la santé des grévistes. Les médecins qui les surveillent quotidiennement évoquent déjà des dégâts irréversibles pour leur santé.
Le fait que les gens mettent leur vie en danger pour bouger les choses montre à quel point la situation est catastrophique, insoutenable et indigne, mais il montre aussi qu’il y a de l’espoir malgré tout et même si cela leur coûte la vie.
Voir des gens qui sont prêts à se sacrifier pour la dignité humaine est en soi un espoir, mais si nous restons les bras croisés, indifférents, demain ça pourrait être trop tard pour eux et pour tous ceux qui se battent et pour tous ceux qui croient qu’un autre monde est possible.
Qu’on apprécie ou non cette manière de lutte menée par des Kurdes, c’est une réalité qui se déroule au cœur de l’Europe et qui risque de laisser une trace douloureuse dans la conscience humaine.
Si aujourd’hui les droits les plus élémentaires ne sont pas respectés et sont bafoués systématiquement ici ou ailleurs, c’est que nous avons déjà perdu beaucoup de choses pour en arriver là. Agissons avant qu’il soit trop tard.
Maxime Azadi