La vitalité d’une démocratie ne peut pas être réduite uniquement à l’organisation des élections, car les élections peuvent aussi être utilisées pour détruire la démocratie, tout comme en Turquie. De nombreuses expériences dans le monde ont prouvé que les élections dites « libres » peuvent servir de prétexte à justifier l’autoritarisme ou la dictature.

De Hitler à Erdogan, en passant par Saddam et Assad, les élections ont pu servir à l’instauration du fascisme ou l’autoritarisme. Certains ont utilisé les élections pour mettre en œuvre leurs agendas politiques antidémocratiques, d’autres sont devenus les otages du pouvoir, une fois arrivée à la tête du pays, et se sont transformés rapidement en dictateurs, en l’absence des mécanismes solides protégeant les droits humains et des libertés.

En Turquie, les élections municipales sont prévues le 31 mars. Plus le jour de vote s’approche, plus la répression se renforce. La principale cible du gouvernement Erdogan est le Parti démocratique des peuples (HDP). Malgré la répression sans précédente qui vise tous les membres, les dirigeants, les parlementaires et les maires de ce parti, il continue d’impressionner en restant debout et en se posant le seul alternatif crédible pour sortir du fascisme.

QUI N’A PAS DE PLACE DANS CE PAYS ?

Le HDP est visé systématiquement par le président turc Recep Tayyip Erdogan et ses ministres. « Vous n’avez pas de place dans ce pays » a-t-il menacé, le 2 mars dernier, s’adressant au parti HDP. Ses propos ne visaient pas seulement le HDP, mais les Kurdes. Il a déjà envahi les régions kurdes en Syrie et a détruit plusieurs villes kurdes au Kurdistan de Turquie, entre les années 2015 et 2016, en massacrant des centaines de civils dont des enfants. Sa politique anti-kurde s’est également concrétisée à travers son alliance indéfectible avec les djihadistes de Daech et Al Nosra.  Les crimes contre les Kurdes sont innombrables, plus qu’assez pour qu’il soit un jour jugé et condamné devant une cour pénale internationale, si la justice fait son devoir.

LE BILAN DE LA RÉPRESSION CONTRE LE HDP

Après la tentative du coup d’État suspect du juillet 2016, la répression pris une ampleur sans précédente. A partir du 11 septembre 2016, le gouvernement turc a commencé à confisquer les mairies kurdes HDP, mettant rapidement en œuvre une politique de répression pour détruire tous les acquis de ces mairies, notamment dans les domaines culturels et éducatifs et de l’émancipation des femmes. Près de cent mairies HDP ont été confisquées et la majorité des maires ont été emprisonnés. En parallèle, la corruption s’est généralisée. Un vaste réseau d’espionnage a été mis en œuvre et tous les militants actifs du HDP, les journalistes kurdes ou de gauche ont été traqués et mis en prison. Les personnes considérées comme proches du HDP ont été limogées pour être remplacées par des personnes « fidèles » au gouvernement.  Plus de 4.000 employés des mairies HDP ont été limogés, selon ce parti. Les morts ont également subi le même sort. Les cimetières construits pour les combattants du PKK ont été détruits. Une guerre a été lancée contre les projets sociaux des mairies HDP comme les ateliers de textile, des activités sportives, des cours pour les handicapés et des jeunes, des associations culturelles qui ont tous été fermés. Des noms kurdes donnés aux mairies, aux associations ou aux villages ont été supprimés. Les services en deux langues (kurde et turc) au sein des maires ont été interdits.  Les noms des intellectuels kurdes donnés aux parcs ont été enlevés. Cette frénésie ne s’est pas arrêtée là, elle a aussi visé des livres sur Zarathoustra ou Marx dans des librairies.

Parmi des milliers de personnes arrêtées figurent nottamment 15 anciens parlementaires HDP dont deux coprésidents du parti, Figen Yuksekdag et Selahattin Demirtas. Selon un rapport du HDP, au moins 2.000 membres du parti ont été arrêtés en 2018, parmi eux 500 ont été envoyés en prisons.

Depuis 2015, 93 co-maires kurdes ont été emprisonnés. Aujourd’hui 50 d’entre eux sont toujours dans des prisons. Rappelons que le HDP est le premier parti politique qui a mis en ouvre la parité, avec un système de coprésidence homme- femme.

DES DISCOURS CRIMINELS

Ce bilan n’est qu’une petite partie de la répression. Le régime Erdogan commet chaque jour de nouvelles violations des droits de l’Homme. Il n’y a plus aucune déclaration publique d’Erdogan qui ne soit pas punissable au sens juridique, car il menace, il appelle à la violence, il fait des discours de haine, il défend la guerre, il accuse, il ordonne, il terrorise… Un jour il menace les électeurs de ne pas voter pour le HDP, sinon « ils payeront le prix », un autre jour il menace les députés HDP qui dénoncent la répression policière : « Vous allez payer ».  Lorsqu’il n’est pas sur les écrans, ce sont ses ministres qui prennent le relais. Son ministre de l’Intérieur Suleyman Soylu est le plus terrible. Avant de se trouver dans le camp d’Erdogan, il le critiquait souvent. Il devient ensuite un véritable « chien de garde ».   Il n’hésite pas à défendre des harcèlements sexuels et il menace tous les jours, sans cesse, quelles que soient les raisons.

LE CIMETIÈRE DES PARTIS POLITIQUES

Devenu un cimetière des partis politiques avec la fermeture d’une trentaine partis entre les années 1954 et 2009, la Turquie n’a jamais offert des élections justes pour les Kurdes. Parmi ces partis, sept sont kurdes venant de la tradition HDP, mais au total dix partis ont subi la fermeture pour la cause kurde.

Récemment, le 22 février dernier, un procès a été engagé pour la fermeture de quatre nouveaux partis politiques kurdes ; « le Parti du Kurdistan de Turquie, le Parti pour la liberté du Kurdistan, le Parti socialiste du Kurdistan et le Parti communiste du Kurdistan ». Ils sont tous accusés d’avoir des activités interdites par la Constitution. Mais ce procès intervient quelques jours après l’annonce d’une alliance entre ces partis et le HDP en vue des élections municipales.

ERDOGAN FAIT TOUT POUR DÉTRUIRE HDP

Quant au HDP, il n’est pas fermé, mais il subit une répression sauvage pour qu’il ne parvienne pas à travailler. Outre les arrestations des milliers de membres, dirigeants ou sympathisants du HDP, il n’a pas non plus de place dans les médias sous contrôle du régime. Tous les fonctionnaires de l’État comme les préfets, sous-préfets, procureurs, juges, policiers ou généraux travaillent en concert pour le parti au pouvoir AKP, exerçant une pression permanente sur le HDP afin de l’intimider ou de l’empêcher de gagner les élections dans les villes kurdes. Les maires de village sont systématiquement menacés par les autorités lors des réunions avec eux ou ouvertement par des déclarations officielles pour accroître la pression sur la population kurde.

DES ÉLECTIONS ILLÉGITIMES ET L’ESPOIR DE CHANGER LE RÉGIME

Les élections municipales du 31 mars se dérouleront dans une atmosphère cruelle. Le HDP espère faire reculer l’alliance fasciste entre AKP et le parti nationaliste MHP lors de ces élections, malgré la menace d’Erdogan de confisquer une fois de plus les mairies si le HDP sortira gagnant. Même si les élections ne sont pas légitimes dans de telles conditions et qui risquent encore de servir un moyen pour étouffer l’opposition, elles restent toujours un domaine de lutte contre le gouvernement Erdogan, mais ce n’est pas tout. Combattre ce régime n’a pas la chance de se réduire aux élections. Les Kurdes et l’opposition démocratique ne se font pas d’illusions.

Maxime Azadi