Le tribunal de Bruxelles a rendu cinq décisions en faveur du PKK, au cours des trois dernières années. Les Kurdes sont également en offensive à Luxembourg pour obtenir la suppression définitive du PKK de la liste des organisations terroristes. Cette liste s’est déjà effondrée au sens juridique. Alors quelles sont les conséquences juridiques et politiques de ces décisions?
Le tribunal de Bruxelles a rendu cinq décisions en faveur du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), au cours des trois dernières années. Elles ont toutes été contestées par le parquet fédéral et la Turquie. Les Kurdes sont également en offensive à Luxembourg, auprès de la Cour de justice de l’Union européenne pour obtenir la suppression définitive du PKK de la liste des organisations terroristes. Cette liste s’est déjà effondrée au sens juridique. Alors quelles sont les conséquences juridiques et politiques de ces décisions?
Pour les dirigeants kurdes, les décisions de non-lieu par la cour d’appel de Bruxelles et celle rendue en novembre 2018 par la Cour de justice de l’Union européenne ouvrent une nouvelle période pour le PKK à la fois juridique et politique. Elles représentent une victoire prudente pour le PKK, mais elles révèlent aussi les lacunes et la fragilité d’un processus judiciaire. Dans un autre sens, elles peuvent être considérées comme une autocritique de la justice.
Cinq décisions en faveur du PKK en trois ans
Le 8 mars 2019, la cour d’appel de Bruxelles a rendu ses dernières décisions concernant deux affaires liées au PKK, jugeant en substance que des membres présumés du PKK ne pouvaient être renvoyés devant les tribunaux belges pour participation aux activités d’un groupe « terroriste ». La cour a estimé que le PKK devait être considéré comme « une force armée non étatique » impliquée dans un long conflit armé « non international ». Par conséquent, loi antiterroriste belge ne s’appliquerait pas dans un tel cas de figure. Au cours des trois dernières années, cinq décisions en ce sens ont été prises. Le 20 mars, le parquet fédéral a annoncé avoir introduit un pourvoi en cassation contre deux arrêts sur le PKK.
Alors, y aura-t-il une fin ? Pourquoi est-elle importante la décision attendue de la Cour de cassation ? Que signifie-t-elle la définition de « conflit armé » ? Quelles sont ses conséquences juridiques ou politiques ? Dans quelle atmosphère l’enquête et le procès contre les dirigeants et les associations kurdes en Belgique ont commencé ? Dans quelle atmosphère politique, le tribunal a pris des décisions en faveur du PKK ? Où en est-on dans l’affaire à Luxembourg ? Nous avons cherché des réponses à ses questions auprès des trois personnes liées directement à ces affaires : Remzi Kartal, coprésident du Kongra Gel, l’organe exécutif de la KCK, Zübeyir Aydar, membre du conseil exécutif de la KCK, qui chapeaute toutes les organisations de la mouvance PKK, et Jan Fermon, l’avocat de la défense.
Retour à la case de départ à Bruxelles
Le procès à Bruxelles fait suite à une enquête ouverte en 2006. Au total, 37 personnes et sociétés ont été jugées dans le cadre de cette affaire, « pour participation aux activités d’un groupe terroriste » et « pour avoir procédé à des extorsions pour leur cause auprès de la communauté kurde » en Belgique. Deux médias kurdes et Fidan Dogan, l’une des trois femmes kurdes assassinées à Paris en janvier 2013 à Paris, figuraient parmi les accusés.
En parallèle, une deuxième affaire qui concernait un autre kurde au nom de Fayçal Çolak était devant les juges belges. Il était accusé d’avoir envoyé des matériaux techniques au PKK. La justice belge a prononcé à deux reprises un non-lieu, dont le dernier a été rendu le 8 mars, estimant que le conflit turco-kurde était un « conflit armé non-international » et que le PKK n’était pas une « organisation terroriste ».
Zubeyir Aydar affirme que, depuis la préparation de l’acte d’accusation en 2015, ils se retrouvent face à face avec le procureur et les avocats de l’État turc. Jan Fermon a de son côté affirme que, pour le procureur fédéral, toutes ces personnes sont liées au PKK.
L’ancien avocat Zubeyir Aydar souligne l’importance des circonstances dans lesquelles le procès a été engagé. « Ils ne sont pas soudain convaincus que nous avons commis des délits ou qu’ils nous ont vu commettre des délits. Comme de nombreuses autres affaires dans d’autres Européens, il s’agit d’un procès qui fait suite à des tractations entre les États. »
Un principe essentiel de la justice violé
Selon le dirigeant kurde Aydar, un principe essentiel du droit a été violé depuis le début de l’enquête ouverte en 2006. « En principe, il faut un délit pour lancer une poursuite ou engager un procès. En Belgique, nous ne sommes accusés d’aucun crime. Les autorités des États se sont réunies pour dire qu’il y a des criminels, alors comment les punir ? Ensuite, ils ont commencé à chercher des crimes. Donc, il s’agit là des crimes inventés. Ce ne sont pas des crimes que nous avons commis »
La nature du conflit
Dès le début du procès, les avocats de la défense se sont concentrés sur la nature du conflit. Pour eux, le PKK ne pouvait pas être considéré comme une organisation terroriste. « Dès le début, nous avons dit qu’il faut examiner la nature de ce qui se passe en Turquie, comme il n’y a pas de violence ici. Le PKK ne commet pas d’actes de violence ou terroristes sur le sol européen. »
L’avocat de la défense attire notamment l’attention sur une loi européenne introduite dans la législation belge. On trouve le terme « conflit armé » notamment dans les Conventions de Genève. Dans cette perspective, le conflit armé non international oppose les forces gouvernementales à des groupes armés non gouvernementaux, ou des groupes armés entre eux. Donc, il fallait faire une distinction entre le conflit armé et les actes de terrorisme dans le cadre de la loi antiterroriste.
La correction d’une dérive judiciaire
Mais ce principe acquis après la Deuxième Guerre mondiale, notamment par des luttes contre le fascisme, a de nouveau disparu depuis les attentats de 2001 aux États-Unis sous prétexte de la guerre contre le terrorisme. « Certes, il y a eu des actes de terrorisme, mais on a commencé, surtout les Américains, à ne plus faire la distinction entre les actes de terrorisme et les luttes légitimes contre des régimes oppresseurs », souligne l’avocat de la défense. Les décisions de la justice belge semblent très importantes pour corriger cette dérive judiciaire au nom de la lutte contre le terrorisme.
Me Jan Fermon ajoute que « selon la loi belge qui est aussi la loi européenne, une organisation qui est active dans un conflit armé tel que c’est défini par la loi internationale que ce soit un conflit interne d’un pays ou international, ne peut pas être considérée comme une organisation terroriste pour les actes commis dans le cadre du conflit ».
Soutenir le PKK n’est plus un crime en Belgique
Considérer le PKK comme une « force armée » signifie également qu’il n’est plus interdit de soutenir le PKK ou son bras armé HPG. Autrement dit, lorsqu’il s’agit de recruter, de faire de la propagande ou de collecter de l’argent pour un conflit armé, n’est pas interdit par la loi.
« Le juge de la cour d’appel a décidé que c’est un conflit armé et que le HPG devait être considéré comme une partie dans ce conflit. Le résultat est ceci : pour tous ceux qui soutiennent en Belgique le PKK ou le HPG dans un tel conflit, la loi antiterroriste ne peut pas être appliquée » résume encore Me Fermon.
La Cour de cassation peut mettre un terme !
Actuellement, la décision de la Cour de cassation est attendue. Si elle confirme le non-lieu, elle mettra fin à un processus. Le dirigeant kurde Zubeyir Aydar est convaincu que la Cour de cassation confirmera la décision de la Cour d’appel.
« Le parquet peut continuer à faire les mêmes appels », affirme de son côté Me Fermon, avant de dire : « Mais, la fin arrive quand la Cour de cassation confirme la décision. À ce moment-là, c’est fini. La décision devient définitive. »
Qu’est-ce qui a changé ?
Alors qu’est-ce qui a changé pour que la justice estime enfin que le PKK n’est pas une organisation terroriste ? « Nous avons aujourd’hui plus de moyens de nous exprimer et de faire la diplomatie, puisque notre mouvement se renforce de plus en plus et se fait entendre au niveau mondial. Nous avons vu que, plus on nous écoute, plus notre légitimité est comprise » dit le membre du conseil exécutif de la KCK. Il souligne également l’importance du changement de conjoncture avec la lutte du peuple kurde contre Daech et les relations dégradées entre le régime turc et l’Occident.
Me Fermon explique avec d’autres termes, mais qui restent similaires : « Dès le début de l’enquête, les éléments viennent tous de Turquie et, oui, nous n’avions pas plus de moyens pour nous exprimer avant, mais je crois plutôt que le climat est plus propice, parce que les juges font attention aux arguments, même si les matériaux continuent de venir de Turquie. Je pense que, aujourd’hui, il est plus facile pour les juges d’écouter (les Kurdes). Mais le procureur nous a aidé aussi, parce qu’il a insisté en disant ‘non non, tout ça, c’est le PKK’. Du coup, ça a devenu facile pour nous ; car nous avons dit : comment expliquer alors le fait que les Américains se battent aux côtés du PYD ? Il est évidemment coincé. »
Quant à Remzi Kartal, le coprésident du Kongra Gel, il souligne l’importance du changement de climat politique : « La lutte initiée par le peuple kurde en Syrie et au Moyen-Orient, la lutte de la libération des femmes kurdes, la guerre contre Daech, la révolution de Rojava et son affirmation dans le cadre de la fédération de la Syrie de Nord ont imposé un changement politique (sur la question kurde). L’ouverture de l’enquête et l’engagement du procès (contre le PKK en Belgique) étaient une décision politique. Mais la réalité du PKK est celle qui est prononcée par la Cour d’appel de Bruxelles ».
La liste des organisations « terroristes »
Avant la dernière décision de la juste belge, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré « insuffisants » les arguments pour maintenir le PKK dans la liste jusqu’en 2017. Le maintien du PKK sur la liste était fondé sur une ordonnance de l’Assemblée du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni et des éléments rapportés par les États-Unis ainsi que des décisions judiciaires françaises. Le 15 novembre 2018, la Cour a conclu que le PKK ne devrait pas figurer sur cette liste. Mais le Royaume-Uni a contesté la décision au nom de ses partenaires européens. Par la suite, le PKK a de nouveau été placé sur la même liste pour l’année 2018, de manière automatique. Selon les dirigeants kurdes, les arguments n’ont pas changé. Le 7 mars dernier, les Kurdes ont introduit un nouveau recours contre la nouvelle liste.
« Avec le mécanisme de la liste européenne, on vous inclut dans la liste et puis tous les six mois à peu près, mais parfois en un an ou deux ans, le conseil des ministres doit réviser la liste », dit Me Fermon.
« L’effet pervers de ça, c’est que quand on introduit un recours en justice à Luxembourg, il faut l’étendre à chaque fois que la liste est renouvelée. Donc, à chaque fois, il faut demander à la cour d’étendre le recours pour regarder la nouvelle liste. Parfois, les motivations pour la liste changent aussi. En réalité, tout cela n’est pas très compliqué, c’est possible de le faire, et de cette manière, la Cour ne regardera pas seulement la première décision concernant la liste, elle prendra aussi en compte l’ensemble des décisions » ajoute-t-il.
Il poursuit : « A ma connaissance, la nouvelle décision est basée exactement sur les mêmes arguments que toutes les décisions précédentes (…) Je crois que la Cour annulera aussi cette liste. »
Zubeyir Aydar partage la même opinion : « Ce sont les anciens arguments, rien de nouveau. Donc, la liste sera annulée. »
L’offensive judiciaire contre les interdictions
Avec la décision des deux Cours, le mouvement kurde veut passer à l’offensive dans d’autres pays européens, mais aussi aux États-Unis contre les interdictions et des listes qui criminalisent la lutte du peuple kurde. L’Allemagne et la France sont parmi les pays visés. Les dirigeants kurdes Aydar et Kartal affirment qu’il faut également attaquer l’Interpol. Car, pour eux, l’Interpol est largement instrumentalisé par le régime turc pour traquer ses opposants.
Une nouvelle période pour le PKK
« Les décisions prises à la fois en Belgique et Luxembourg ouvrent un nouveau chapitre pour le PKK et les associations kurdes, ainsi que pour les politiciens kurdes en Europe » affirme Remzi Kartal. Et il ajoute : « La prononciation du non-lieu par la justice belge est exemplaire pour attaquer les restrictions dans les autres pays. »
La liste est un obstacle devant la paix
Pour les deux dirigeants kurdes et Me Fermon, les interdictions visant le PKK en Europe et la liste des organisations terroristes sont un obstacle devant une solution politique et la paix. « La liste ne nuit pas seulement au mouvement kurde, mais aussi à une grande partie de la population kurde. La liste nuit à la paix et permet à la Turquie de renforcer sa politique répressive. Elle renforce la main de ceux qui veulent la guerre et affaiblit celle des défenseurs de la paix.
Me Fermon est du même avis : « Je pense qu’elle a une influence négative sur la paix. Elle incite l’État turc à ne pas faire la paix, mais la guerre. »
Remzi Kartal conclut ainsi : « Le problème kurde est un problème politique. Il faut une solution dans le cadre du droit international. Il faut le traiter dans le cadre du droit de la guerre. »
Maxime Azadi