Elle était petite. Âgée seulement de deux ans. Elle avait un petit corps. Ses mains, ses doigts, ses pieds, son cœur, ses poumons, ils étaient tous petits. Elle s’appelait Mawda, une petite fille kurde.
Malgré son âge, la tragédie qu’elle représentait était immense. Une tragédie derrière laquelle se cachaient l’hypocrisie, la complicité, l’impunité, la guerre, la violence, l’immigration et la misère…
Elle était très petite face à une grande injustice. Un an après, ses grands yeux nous hantent toujours en cherchant la paix et la justice. Le pouvoir politique, la justice, les médias, les citoyens… ils sont tous coupables. Certains ont donné l’ordre, d’autres l’ont exécuté ; certains ont manipulé les faits, d’autres ont gardé le silence. Et certains, malgré la vérité, refusent toujours de rendre la justice.
Son histoire n’a pas commencé en Belgique. L’histoire de sa tragédie n’était pas aussi brève que l’instant où elle est morte. La tragédie qui l’a jeté à des milliers de kilomètres loin de sa terre natale n’était pas aussi petite que la balle d’un revolver. Cette tragédie n’avait pas commencé avec elle. Sa mort n’était pas non plus la fin de la tragédie, mais la petite Mawda et tant d’autres enfants étaient les visages les plus innocents de cette histoire sans fin.
C’était au milieu d’une nuit. Elle fuyait, avec des dizaines d’autres personnes entassées dans une camionnette. Il y a un an, une trentaine de personnes, majoritairement des Kurdes d’Irak, montaient dans une camionnette en France, à Dunkerque. Ils voulaient traverser la Belgique pour gagner l’Angleterre, dans la nuit du 16 au 17 mai 2018. Jusqu’à l’arrivée des policiers, il n’y avait aucun danger. Puis, une course-poursuite sur l’E42 a commencé. Une voiture de la police est arrivée à hauteur de la camionnette. Un policier a sorti son revolver et a tiré. Une personne est touchée d’une balle dans la tête. Elle était installée avec ses parents derrière le chauffeur au moment du tir. Ses yeux ne pouvaient plus s’ouvrir grandement, ses petits doigts ne pouvaient plus bouger, son cœur ne battait plus, laissant derrière elles ses beaux sourires figés sur des photos.
« Très vite, il y a eu des problèmes », dit Me Selma Benkhelifa, l’avocate de la famille de la victime, dénonçant les manipulations après la mort de la petite fille kurde. « Dans un premier temps, ils ont essayé de dire que la petite n’était pas morte par balle. Ils ont dit qu’il s’agissait d’un traumatisme crânien comme si c’était un accident de voiture. Après que l’autopsie ait montré qu’elle était morte par balle, ils ont dit qu’il y a eu un échange de tirs, alors que personne n’était armé dans la camionnette, sauf les policiers. Normalement, ils ne peuvent pas tirer s’ils ne sont pas menacés. Ensuite, ils ont reconnu que le policier a tiré sans qu’il y ait un danger particulier. Ils ont essayé de dire que la camionnette faisait des zigzags, mais ce n’est pas une raison pour tirer. »
Un an après, le policier qui a tué Mawda n’est toujours pas inculpé. « Pourtant on sait qui c’est. Il a admis avoir tiré » dit l’avocate, espérant qu’il y aura au moins un procès.
Me Benkhelifa s’interroge aussi sur la formation des policiers avant d’être envoyés sur le terrain pour ce genre d’opérations, mais aussi sur le nom de l’opération : Médusa, un monstre de la mythologie grecque.
« Ce sont des opérations de chasse aux migrants » dénonce-t-elle, pour qui les migrants sont terrorisés par la police et il y a une responsabilité politique dans cette opération.
« Ils ont dit ; on a choisi le nom de Médusa parce que l’idée est de terroriser les migrants. Et dans une opération pour terroriser les migrants et tuer une petite fille, il y a une responsabilité politique. Au-delà du policier qui a fait un geste qu’il ne devait jamais faire, qu’est-ce qu’on leur dit, quelle formation on leur donne ? Je ne sais pas comment on les forme. Mais, clairement, les gens qui étaient dans cette camionnette étaient des victimes. Ce sont des gens qui essayaient de s’enfuir. Ce ne sont pas des criminels. Même s’il s’agit d’un criminel qui s’enfuit, on ne peut pas tirer dessus. »
L’affaire Mawda a montré une fois de plus l’impunité de la violence policière et des crimes commis par les autorités.
« Il est très difficile de condamner ces actes », affirme l’avocate des parents de Mawda. « Il y a de l’impunité. Si c’était n’importe quelle autre personne qu’un policier, qui avait tiré et tué une petite fille, il y aurait certainement une condamnation. »
Elle questionne la logique et les décisions qui sont derrière ces actes, « mais ils ne sont pas du tout dans l’idée qu’ils ont eue tord. Ils trouvent que l’opération de Medusa est très bien et qu’il faut arrêter les migrants. C’est une politique qui est très à droite » ajoute-t-elle.
Quant aux médias, ils ont fait un peu du bruit au début, mais souvent dans la logique étatique. Pour Me Benkhelifa, « on n’en parle pas énormément. »
« Les médias ont aussi joué un rôle dans la dissimulation de la vérité. À un moment, la police a déclaré que la petite fille avait été utilisée comme bouclier humain par ses parents. Et tous les médias ont repris ça » dénonce-t-elle.
Elle rappelle que la presse, en tant que contre-pouvoir, doit vérifier la version officielle.
En un an, il n’y a pas eu de progrès ni une discussion profonde sur les problèmes qui ont conduit a la mort de la petite fille. « Aucune restriction de l’utilisation des armes. Il n’y a pas eu de condamnation (de la part des dirigeants). La police de la police qui a mené une enquête parle d’incident de tir. Mais un incident, c’est un évènement secondaire qui n’est pas très important, alors que la mort d’une petite fille n’est pas un incident, mais un drame. Les mots sont importants. »
Outre l’impunité policière, l’affaire Mawda montre à la fois la faiblesse de la justice et la responsabilité politique derrière les injustices. Alors, où chercher la justice ? « Il y a une pression des pouvoirs politiques sur la justice », dit l’avocate des parents de Mawda, avant d’attirer l’attention sur le besoin de la pression d’un contre-pouvoir sur la justice afin de trouver au moins un équilibre.
Maxime Azadi